La capture

« Je me déclare prêt à me rendre en Israël »

Le 11 mai 1960, un commando de quatre hommes appartenant au Mossad, le service des renseignements extérieurs d’Israël procède dans des conditions rocambolesques à l’enlèvement d’Adolf Eichmann aux environs de Buenos Aires. L’opération, illégale et risquée, est supervisée sur place par le chef des services secrets israéliens en personne, Isser Harel. Enfermé et interrogé dans une chambre durant huit jours, l’ancien nazi se résigne très vite à son sort et signe une lettre dans laquelle il se « déclare prêt à se rendre en Israël pour comparaître dans ce pays devant un tribunal compétent ». Le 20 mai, il est embarqué à moitié drogué dans un avion de la compagnie israélienne El Al qui, après une escale à Dakar, atterrit le 22 mai 1960 en Israël.


Aussi spectaculaire soit-il, cet épisode ne marque pas l’aboutissement d’une traque acharnée, finalement couronnée de succès. En réalité, ni les responsables des organisations juives d’avant 1948, ni le nouvel État d’Israël n’ont fait de la chasse aux anciens nazis une priorité.


Cependant, pour refonder une unité nationale déjà en question et affermir la légitimité du parti travailliste au pouvoir (le Mapai), le premier ministre Ben Gourion prend finalement la décision de faire enlever Eichmann en 1959 pour qu’il soit jugé en Israël. D’entrée de jeu, l’affaire Eichmann relève donc à la fois d’un désir de justice, d’un souci d’informer la jeunesse israélienne peu au fait de l’histoire de la Shoah, de donner la parole aux victimes qui se sont peu exprimées publiquement alors qu’elles forment près d’un quart de la population israélienne, et d’engager l’avenir du pays en invoquant pour la première fois, dans des circonstances exceptionnelles, la mémoire de la catastrophe récente.


Lettre de reddition rédigé en Argentine par Adolf Eichmann à la demande des agents du Mossad. 1960.


Coll. Mémorial de la Shoah, Paris.

Les réactions

L’annonce de la capture d’Eichmann suscite une vague d’émotion. En Israël, domine le sentiment d’une revanche, sinon d’une vengeance. Le terme revient comme un leitmotiv dans la rue, les sondages, les déclarations politiques. La revanche, c’est la capture de celui qui a voulu détruire le peuple juif, mais plus encore son jugement en Israël même. Jamais un État qui n’existait pas au moment d’un crime dont « les siens » ont été victimes n’avait auparavant poursuivi l’un de ses responsables. Pourtant, dès l’annonce de la capture, les controverses éclatent de toutes parts. L’Argentine porte plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU pour violation de sa souveraineté. Le 23 juin 1960, ce dernier statue par une résolution embarrassée : la violation est certes réelle, et Israël finira par le reconnaître, mais les crimes ici en jeu sont d’une ampleur telle qu’il est difficile de ne pas les prendre en compte


De même, l’annonce du procès déclenche une polémique juridique et morale. Un vif débat oppose, d’un côté, Nahum Goldman, le président du Congrès juif mondial ndash; et avec lui nombre d’intellectuels de premier plan – et, de l’autre, David Ben Gourion et le gouvernement. Il illustre les dilemmes d’une situation sans précédent juridique ou politique. Les premiers préconisent de déférer Eichmann devant un tribunal international – lequel serait à créer, et pourquoi pas à Jérusalem même – pour éviter que son procès ne soit l’affaire exclusive des Juifs. Le second, au contraire, défend avec ardeur l’idée que seul l’État juif peut juger un homme dont presque toute l’action criminelle a été dirigée intentionnellement contre les Juifs.


Enfin, l’affaire déclenche une vague de réactions populaires partout dans le monde. Le gouvernement israélien reçoit quantité de lettres l’invitant à faire subir au détenu les pires tortures ou, au contraire, le menaçant pour s’être emparé de celui qui devient un symbole de l’antisémitisme contemporain.


Lettre de Jean Almann, ancien déporté, à Ben Gourion. 13 juin 1960.


Coll. Israel State Archives


Lettre de menace du FLN.


Coll. Israel State Archives